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Transformer l'investissement dans les PME : une conversation avec Pléiade Investissement
Publié le
24
July
2023
Nous avons eu le privilège d'interviewer Emmanuelle Guez Betthaeuser, Associée de Pléiade Investissement, pour une discussion approfondie sur l'art et la science de l'investissement dans les PME. Au cours de cette conversation, Emmanuelle dévoile ses précieuses observations et partage des informations sur l'approche de Pléiade Investissement, l'importance de la durabilité, les leçons tirées de l'investissement dans des PME, et bien plus encore.
Bonne lecture !
Emmanuelle, c'est un plaisir de te recevoir aujourd'hui. Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ?
Ravi de te retrouver, Olivier. Je suis Emmanuelle Guez Betthaeuser, associée chez Pléiade Investissement, une société d'investissement qui se distingue par une approche assez différente des fonds traditionnels.
Les fonds que nous gérons ne proviennent pas de souscripteurs, mais d’actionnaires personnes physiques, 25 environ. Chacun d'eux est un entrepreneur aguerri qui a créé ou racheté des sociétés au cours de sa carrière. Nous investissons sur nos fonds propres, sans véhicule ad hoc et levée de fonds externes.
C'est donc un actionnariat fermé qui offre une liquidité interne à ceux qui souhaiteraient un peu de trésorerie. Une particularité chez nous est que nos actionnaires n'ont aucune liquidité au fil des ans car Pléiade ne remonte pas de dividende afin de conserver des marges de manoeuvre pour croître au niveau de nos participations et conserve le cash des cessions afin de le réinvestir dans de nouvelles sociétés.
Nos actionnaires sont là pour faire en sorte que d'autres entrepreneurs réussissent. Bien sûr, ils se constituent une valeur patrimoniale mais il n'y a aucune liquidité intermédiaire. Pléiade est généraliste dans ses investissements, avec un historique fort dans la restauration et les logiciels, mais aujourd’hui nous sommes aussi actionnaires de participations dans l'industrie légère, les résidences services seniors, la distribution de composants électroniques ou de scooters électriques, et même dans le tri et la valorisation des déchets industriels.
Ce qui compte pour nous, c'est avant tout la rencontre avec un manager et un projet qui nous semble différenciant. Nous investissons entre 2 et 10 millions d'euros en capital de départ et pouvons accompagner jusqu'à 20 millions d'euros dans le développement de la société. Nous sommes très présents aux côtés des entrepreneurs, car nous savons combien ils peuvent se sentir seuls.
Nous passons beaucoup de temps à accompagner nos sociétés, que nous soyons minoritaires ou majoritaires. Notre objectif est d'alléger au maximum la charge du dirigeant, de partager nos expériences pour lui faciliter la vie, l'aider dans sa réflexion stratégique et la structuration de sa société au fil de sa croissance.
Pléiade réalise tout type d'opérations : LBO, MBI, rachat de parts, capital développement ... L'essentiel pour nous, c'est la rencontre avec l'entrepreneur et la compréhension de son projet qui doit être caractérisé par un positionnement à savoir faire technique différenciant, une forte valeur ajoutée par rapport au concurrent, un positionnement premium sur son marché.
Tu nous as dit que Pléiade comptait 25 actionnaires. Est-ce que ce groupe s'est constitué d'un coup, ou bien y a-t-il eu des départs et des arrivées au fil du temps ?
Très bonne question, Olivier. La plupart de nos actionnaires étaient là dès le départ, ils ont constitué le noyau initial de notre société. Par la suite, nous avons eu le plaisir d'accueillir d'autres acteurs, notamment des dirigeants avec qui nous avions travaillé en tant qu'investisseurs et qui, après avoir cédé leur société avec nous, ont exprimé le souhait de devenir actionnaires de Pléiade. Ainsi, nous comptons actuellement 5 actionnaires qui sont d'anciens dirigeants, ce qui enrichit notre profil avec des personnes qui étaient encore récemment sur le terrain et de nouveaux secteurs d’activité.
Et toi-même, Emmanuelle, étais-tu entrepreneure avant de rejoindre Pléiade ?
Mon parcours est un peu différent. J'ai commencé ma carrière en passant 11 ans au Crédit Lyonnais, en tant que responsable corporate finance. J'étais en charge des opérations haut de bilan. Puis, un des dirigeants pour lequel j'avais levé des fonds m'a débauchée et j'ai rejoint son équipe en tant que Secrétaire générale/COO. J'ai passé 9 ans dans cette PME devenue ETI, chapeautant les fonctions de support : finance, juridique, RH, marketing, informatique. Je m'occupais aussi de gérer les actionnaires que j'avais fait entrer et du développement international via les croissances externes.
J'y suis restée jusqu'à la cession de la société à laquelle j’ai activement participé. Ayant fait du haut de bilan en banque, puis du haut de bilan en PME devenue ETI, j'ai estimé que c'était le bon moment pour passer du côté des fonds d'investissement. Armée de ces deux expériences, j'étais prête à accompagner les dirigeants de la meilleure manière possible. Je recherchais un fonds long terme et entrepreneur pour être alignée avec les intérêts économiques de la société et c'est ainsi que je suis arrivée chez Pléiade en tant qu'associée il y a maintenant presque 7 ans.
Quels critères déterminent votre choix d'accompagner un dirigeant ? Y a-t-il une thèse particulière derrière cela, en dehors de l'état d'esprit de l'entrepreneur?
En effet, l'état d'esprit est crucial, mais ce n'est pas le seul critère. Nous cherchons avant tout une compatibilité d'ADN et de valeurs. Et c'est loin d'être du marketing, c'est une réalité pour nous. Puisque nous restons investis dans les sociétés pendant 5, 10, 15, voire 20 ans (nous avons deux sociétés dans notre portefeuille depuis 22 ans, 50% de nos sociétés depuis plus de 10 ans), il est essentiel que nous partagions les mêmes valeurs avec les dirigeants que nous accompagnons.
Nous cherchons aussi des entrepreneurs ambitieux, car notre but est d'aider les sociétés à se développer et à s'adapter aux phases de croissance, que ce soit pour se structurer face à une croissance rapide, pour se développer à l'international, ou pour réaliser une croissance externe. Un entrepreneur doit avoir une vision claire et de l'ambition.
Enfin, toutes les sociétés que nous accompagnons ont une différenciation technique ou de service notable. Nous n'investissons pas dans des modèles low cost ou de volume. Nos investissements couvrent divers secteurs, de la restauration rapide haut de gamme (comme Cojean) à l'injection plastique/le micro-décolletage très technique pour l'aéronautique ou les implants médicaux, en passant par la valorisation de déchets dangereux et industriels. Ces entreprises ont toutes de fortes barrières à l'entrée en termes d'habilitations, de sécurité, de santé. Elles offrent toutes un service client très qualitatif, avec une réelle valeur ajoutée.
Notre philosophie est de vendre en même temps que le dirigeant à un industriel. Ainsi, nos intérêts sont alignés à 100%. Il est donc crucial que nous partagions une vision commune et que nous comprenions bien la stratégie du dirigeant pour nous assurer de cet alignement. Si cet alignement existe dès le départ, il n'y a aucune raison qu'il ne perdure pas, car notre objectif est de vendre au meilleur prix au moment où nous jugerons que c'est la meilleure opportunité.
Investissez-vous dans des sociétés qui sont en forte croissance mais qui n'ont pas encore trouvé le chemin de la rentabilité, ou est-ce que la rentabilité est un critère important pour vous ?
Notre objectif est d'investir dans des sociétés dont le modèle d'affaires est rentable. Par exemple, nous avons investi dans une entreprise de résidences seniors qui, dans son ensemble, n'était pas rentable en raison de nouvelles ouvertures. Cependant, les résidences déjà établies étaient toutes bénéficiaires.
Nous sommes en mesure d'investir dans des entreprises qui sont en phase de "ramp-up", où certaines phases d'ouverture peuvent faire qu'une entreprise n'ait pas encore atteint la rentabilité. Cela ne nous dérange pas, à condition que le modèle d'affaires soit solide et qu'il y ait des preuves de rentabilité sur une entité, une résidence, un magasin, ou un segment spécifique.
As-tu été inspiré par des dirigeants, au cours de ta carrière ?
Je trouve que tous les dirigeants avec qui j'ai travaillé sont inspirants. Ce sont des gens extrêmement courageux. Ils consacrent leur temps à la création et au maintien d'emplois et font face à une époque difficile. Les deux ou trois dernières années ont été particulièrement difficiles pour les dirigeants, je dirais qu'il n'y a pas eu de période plus difficile auparavant.
Après la crise du Covid, qui a totalement bouleversé nos modes de travail, les dirigeants ont dû faire face à la guerre en Ukraine, l'augmentation des prix des matières premières, et à la crise de l'énergie. En plus de cela, le mode de travail a changé : il est devenu difficile de recruter et de garder les employés et de maintenir une culture d'entreprise forte. Malgré tout, nos dirigeants font un travail extraordinaire et montrent une grande résilience.
Est-ce que certains dirigeants se sont révélés particulièrement compétents dans les phases de chaos ?
C'est vrai que souvent, le profil du dirigeant qui est bon en développement n'est pas le même que celui qui est bon en restructuration. Certains dirigeants arrivent à faire les deux, mais la plupart ne le font pas. En général, ces dirigeants savent s'entourer de personnes qui compensent le côté plus faible de leur profil (souvent la restructuration qui doit être une phase passagère !). Nous sommes là pour soutenir le dirigeant et lui permettre de se concentrer autant que possible sur le développement du business et sur la stratégie.
Est-ce que vous accompagnez les dirigeants sur la capacité à recruter les bonnes personnes, à structurer la bonne organisation, etc. ?
Tout à fait. Nous prêtons une attention particulière à ce que le dirigeant soit entouré des bonnes personnes en fonction de la taille de l'entreprise. Nous préférons anticiper et sommes convaincus qu'il faut bien se structurer pour grandir. Quand ce n'est pas spontané, nous essayons de montrer les avantages d'une telle organisation.
Nous pouvons aider certains dirigeants à recruter un Directeur des Ressources Humaines ou un Directeur Administratif et Financier, et parfois même un Directeur Général. Donc oui, nous sommes assez impliqués, que ce soit au début du processus de recrutement ou à la fin, lorsque le dirigeant hésite entre deux profils.
Pour nous, il est très important, une fois atteint un certain nombre d'employés et de taille de chiffre d'affaires ou de structures, d'avoir une équipe de direction structurée. Un dirigeant ne peut pas réussir seul.
Justement, est-ce que vous créez des synergies entre vos participations ?
Oui, nous créons des synergies à plusieurs niveaux. Par exemple, lorsqu'un directeur financier cherche à mettre en place de l’affacturage, nous le mettons en contact avec un autre directeur financier qui a récemment mis en place un système similaire. Nous pouvons également partager des expériences sur des sujets spécifiques ou des marchés étrangers.
Par ailleurs, nous essayons également de créer des synergies commerciales entre nos entreprises. Par exemple, nous avons Quietalis, une entreprise qui installe des cuisines professionnelles. Nous l'avons mise en contact avec Montana, qui a besoin d'équiper les cuisines de ses résidences seniors. Cependant, notre rôle se limite à ouvrir les portes et à mettre les entreprises en contact. Par la suite, nous nous retirons complètement et laissons les entreprises gérer leurs relations comme elles le souhaitent. Notre objectif est de ne pas interférer dans leur modèle d'affaires et de ne pas les obliger à faire des efforts particuliers simplement parce qu'elles font partie de notre portefeuille. Nous voulons qu'elles se sentent à l'aise et qu'elles puissent faire des affaires en fonction de leur propre modèle d'affaires.
Comment procédez-vous à la sélection des entreprises ?
En 2022, nous avons réalisé trois nouvelles opérations, dont deux n'étaient pas intermédiées. Cependant, je dirais que 70% de nos opérations viennent par des intermédiaires. Nous préférons travailler avec de petits intermédiaires qui ciblent des fonds qui correspondent vraiment aux attentes et à l'ADN du dirigeant, plutôt qu'avec des cabinets qui mettent en concurrence 15 fonds sur un tableau Excel. Notre valeur ajoutée réside vraiment dans l'accompagnement et la durée. Par exemple, nous ne soumettons pas d'offre si nous n'avons pas rencontré le management de l'entreprise.
Nous n'avons pas d'obligation de déployer des investissements, donc si nous n'avons pas les conditions pour le faire, nous n'investissons pas dans une nouvelle entreprise. Il y a tellement d'opérations sur les entreprises dont nous sommes déjà actionnaires, que nous ne manquons pas de travail. De même, nous n'avons pas d'obligation de sortie. Ainsi, quand nous investissons, c'est parce que nous avons une forte conviction et que nous estimons que nous pouvons apporter une valeur ajoutée.
Nous ne sortons jamais d'une entreprise au mauvais moment, puisque nous n'avons aucune obligation de vendre du fait de notre absence de contrainte de temps. Par conséquent, il y a toujours des hauts et des bas au sein des entreprises, mais nous prenons le temps avec les dirigeants d'essayer de comprendre pourquoi, de restructurer si nécessaire. Nous pouvons prendre la décision avec le management de mettre la croissance en stand-by pour structurer, solidifier puis reprendre la croissance une fois le socle solide. Cela nous est arrivé avec plusieurs entreprises et aujourd'hui, ce sont de très belles réussites. Donc, en fin de compte, notre capacité à donner du temps est une véritable chance pour l'entreprise. Évidemment, nous soutenons le dirigeant dans les périodes plus difficiles.
Dernière question : si demain vous preniez la présidence de la France et que vous aviez une mesure à mettre en place pour favoriser l'investissement dans les PME, quelle serait-elle ?
C'est une question difficile. Peut-être un message d’assouplissement ou de coopération de la part des établissements bancaires vis à vis des PME saines mais en tension de trésorerie compte tenu de la succession de crises récentes. Ce que je remarque aujourd'hui, c'est que les banques sont beaucoup plus rigides actuellement. Évidemment, cela dépend de chaque pool bancaire et de chaque personne au sein de l’établissement bancaire. Dans certaines de nos entreprises, nous sommes très bien accompagnés par le pool bancaire, même dans des situations un peu tendues, chacun fait sa part côté actionnaires et partenaires bancaires et cela permet d’avancer dans de bonnes conditions pour l’entreprise. Cependant, à l'inverse, il y a des pools bancaires qui se ferment trop rapidement, rendant encore plus compliquée la situation de l'entreprise qui parfois n’a besoin d’un soutien que sur quelques mois.
Aujourd'hui, on voit que les banques financent surtout les très beaux actifs, ce qui est pénalisant pour l’économie. Je pense qu'il devrait y avoir plus de flexibilité de la part des banques pour accompagner les PME. Nous, chez Pléiade, nous sommes là sur le long terme, et pour cela acceptons d’accompagner le développement des entreprises dans tous leurs cycles : haut et bas.
J'ai moi-même passé 11 ans au sein d’une banque et j'ai vraiment apprécié ces années. Nous essayions d'être partenaires de la société, orientés vers le business même s’il reste nécessaire de garder un cadre et des garde-fous.
Je constate sinon qu’aujourd’hui, ce sont souvent les experts-comptables et les commissaires aux comptes qui jouent le rôle de conseil et d’accompagnement, moins les banquiers de la société.
Bien entendu, nous avons certaines entreprises où nous travaillons réellement de façon coopérative avec le pool bancaire : trouver des solutions ensemble, cela permet une meilleure pérennité de l’entreprise et plus de sérénité pour les partenaires financiers qu’ils soient banquiers ou investisseurs.
Un grand merci pour ton temps, Emmanuelle !